Entre Désœuvrement et Urgence Politique : atelier panique

Atelier Panique : Entre Désœuvrement et Urgence politique

Atelier panique prend pour personnage central un militant d’ultragauche dont nous suivrons les vicissitudes. Entre désœuvrement et urgence (politique) de l’action, que faire ? Une réflexion autour de la survie en milieu idéologique hostile. Le tout servi avec une dose d’humour et de dérision.


Antoine Jobard, Atelier Panique, Le Sabot éditions, 2013, 200p, 13€


Atelier panique, premier roman d’Antoine Jobard – un nom de plume – déroute par sa trame narrative. Il sait nous surprendre en déviant de sa trajectoire initiale. Ainsi les intrigues et autres pistes narratives installées dès les premières pages ne trouveront pas forcément d’issue, bien vite remplacées par d’autres enjeux. Bien des questions resteront en suspens. Autant de surprises narratives qui peuvent se révéler aussi réjouissantes que… décevantes.

Résumé

On suit les pas chancelants d’un jeune homme pour qui la lutte politique est l’un des seuls horizons. K-way noir, lunettes de piscine et autre sérum physiologique ne quittent jamais son sac à dos. Attirail de celles et ceux qui squattent les cortèges de têtes des manifestations. Désargenté, il erre en périphérie parisienne.

À la suite d’un achat compulsif, il acquiert un étrange tableau. Regrettant d’avoir dépensé le peu d’argent dont il dispose ; il décide d’en retrouver l’auteur afin de lui revendre le tableau. Dans un atelier au milieu de nulle part, il fait la connaissance d’un des représentants de l’avant-garde artistique des années 70. Un peintre raté qui ne cesse de discourir sur l’art, la peinture, le monde. Malgré leurs différences, ils se lient d’amitié. Se met dès lors en place, dans cet atelier, une sorte de huis clos détonnant. Deux personnages mus par un même élan destructeur ; fuir le monde.

Galères, déboires et lutte en filigrane

La première partie d’Atelier panique nous délivre le rapport au monde d’un jeune homme appartenant à l’Ultragauche. Bien loin des représentations médiatiques de cette mouvance, notre personnage n’est pas issu d’une bourgeoisie intellectuelle en manque de sensations fortes, s’encanaillant dans les têtes de cortège de manifestations. Le jeune homme dont nous emboîtons les pas ni dispose ni de réelle formation ni de perspectives. Conscient pour autant des enjeux de classe, de race et de genre. Face à ce monde hostile à ses idées, à sa manière d’être, il est partagé entre haine et paranoïa.1 Atelier panique ne maque par ailleurs ni de recul ni d’humour face à ces délires paranoïaques. Le personnage étant constamment persuadé d’être traqué, recherché par les autorités.

De l’action politique

L’une des réussites d’Atelier Panique réside certainement dans le développement de ce rapport au monde. Par l’alternance entre narration à la première personne et à la troisième, ce rapport au mode se trouve à la fois contrasté, mais également mis en exergue, nous donnant un accès direct aux perceptions du personnage. Mais également son rapport à l’action politique, considérant que notre époque en manque dramatiquement, éprouvant dès lors de la nostalgie à l’égard des terroristes anarchistes du XIXe siècle.

Les idées font des nœuds entre elles lorsqu’elles s’y croisent. Plus rien n’en découle, même lorsqu’il y a un désir commun de sortir de sa paralysie. Alors, heureusement, il y a la véritable émeute, le sabotage et le rire.

Atelier Panique, p.45.

Par-delà ces discours louant explicitement cette propagande par le fait, Atelier panique se révèle bien plus subtil quand il en fait part dans et par les procédés scripturaux déployés. En effet, dès les premières pages du roman, on notera l’abondance de personnifications. Les rues qui bâillent, les nuages qui digèrent, les pare-chocs qui jouent des coudes, les rues qui s’en foutent….etc. Autant d’éléments qui tendent à faire de la ville et du monde des êtres vivants à part entière. Quelque chose d’organique sur lequel il serait possible d’agir directement, concrètement. Renvoyant de la sorte, dans et par l’écriture à la philosophie de l’action politique qui meut notre personnage.

Conflit(s) de générations politiques

Atelier panique compte 7 chapitres, l’intrigue se déployant en autant de jours. Une semaine donc qui correspond à l’ultimatum que s’est fixé le personnage du peintre ; achever son ultime chef-d’œuvre, avant de se suicider. Malgré ce découpage temporel centré sur le peintre, ce sont bien les péripéties du jeune homme que nous suivrons. En cela, Atelier panique a des allures de roman picaresque, il en emprunte d’ailleurs un certain nombre de codes : le fait que le jeune soit issu de la classe populaire, qu’il soit opposé aux valeurs de l’organisation sociale au sein de laquelle il évolue… À ce titre, l’un des plus emprunts que l’on perçoit au premier abord sont ces phrases placées en début de chaque chapitre, et qui en résument la substance2. Procédé qui n’est pas sans nous rappeler une vieille convention du roman, courante au XVIIe siècle. Reprise depuis le XIXe siècle de façon ironique. L’un des exemples les plus marquants au XXe étant le V. de Pynchon. Ce dernier semble par ailleurs constituer une inspiration pour notre auteur.

Roman picaresque avorté

À partir de la seconde partie du roman, ce caractère picaresque d’Atelier panique sera totalement remis en cause. La rencontre avec le peintre parasitera progressivement la narration, celui-ci n’aura de cesse de s’épandre sur ses aventures de jeunesse, ses conceptions artistiques. Les logorrhées du peintre prenant le pas sur la narration, reléguant le personnage que l’on suivait au second plan. Cette relation entre le peintre et le jeune homme, assez rapidement toxique, nous semble renvoyer à une double métaphore. Celle d’une organisation où les jeunes générations échouent à trouver leur place. Métaphore que cristallise la rancœur éprouvée par le jeune homme à l’égard du peintre : « générations de gros boomers qui nous ont mis dans la merde »[p.137]. L’écriture même atteste de ce fait, le discours du peintre recouvrant progressivement et littéralement la narration. Le vieux peintre faisant ainsi déjouer le développement conventionnel d’un roman picaresque. Comme si dans et par l’écriture, l’espace que prennent les discours dans le blanc de la page, la présence du jeune personnage se trouvait être cannibalisée.

Des postures politiques artistes

La confrontation entre les deux personnages ne s’arrête pas là. Celle-ci ne réside pas uniquement en un conflit entre générations qui est une lecture politique des évènements tronquée et limitée. Elle se double d’une opposition entre classes, sur fond de réflexion autour des postures artistiques :

Dire qu’il y a encore quelques jours encore, j’ai cru au génie. Résultat des courses et de ma petite analyse de sociologue schlag ; un enfant gâté, éloigné de tout réel. Fils de bourgeois s’inventant prolétaire, devant moi. Je comprends pas ce genre de types. Qu’est-ce qui leur envient aux pauvres ? Là par pur déterminisme. La vie d’artiste comme une révolte de petit bourge. Regarde ses mains. Elle sont peut-être tachées, mais si fines ! Voilà un type qui n’a jamais bossé de sa vie. N’en a jamais eu besoin. (…) Clichés ambulants qui prennent goût à leur confort intellectuel. Pacifiste boxeur. « Ne travaillez jamais. Mais l’héritage de mon père est une peste financière. Ne travaillez jamais. Il me la refilée et elle gonfle sous ma peau, formes des bulbes rougeoyants. Ne travaillez jamais. (…) » J’enferme l’artiste dans une cellule. Là, je peux le juger, au calme. Lui transmettre mon mépris.

Atelier Panique, p.155.

La rancœur se mue en mépris, touchant donc à la sphère artistique. Regard du jeune homme politisé qui juge un certain catéchisme, un mode de vivre bourgeois bohème. Le jeune homme développant, malgré lui, une vision travailliste du monde, jugeant son aîné à l’aulne de la « valeur travail ». Ne saisissant au passage rien de la formule « Ne travaillez jamais ».

Pour autant, Atelier panique se révèle plus fin dans ses références quand il questionne et met en cause le mythe de l’artiste maudit. D’abord par ses références au XIXe, siècle qui a vu la naissance de ce mythe. Mais également au travers de l’apparition, en filigrane du roman, du Chef d’œuvre inconnu de Balzac.3 L’intrigue de cette nouvelle est exploitée dans la seconde partie du roman. Ainsi, Atelier panique en explore les enjeux d’un point essentiellement politique. Le roman exploite alors la dichotomie entre monde réel et catéchisme artistique à cet effet. Cela est d’autant plus perceptible à la conclusion du roman, lorsque le jeune homme et le vieux peintre sont enfermés dans le fameux atelier tandis qu’advient au-dehors un soulèvement populaire. Il est trop tard, pour les deux. Ils (se) sont isolés. Enfermés. Ainsi, l’un des mérites d’Atelier panique tient en ce qu’il nous donne un accès direct à un imaginaire, issu du mouvement Autonome Français, et plus particulièrement de l’une de ses composantes ; l’Appelisme4.

De l’Appel à la pelle

Michel Foucault, entre autres, a établi que toute œuvre littéraire est traversée par un ensemble de discours politiques et idéologiques. À l’instar de nombre de romans, Atelier panique ne fait pas exception ; le roman est parcouru par un certain nombre de motifs idéologiques pouvant être assimilés au Comité invisible, ainsi que certains textes publiés sur le site Lundi Matin. En effet, par l’entremise de son narrateur, le roman fait un appel constant à la révolte, au sabotage. Un appel à la remise en cause du « vieux militantisme » [p.45].

On ne discerne plus l’absurde fondamental, le ridicule généralisé, le besoin de sortir violemment des espaces mortifères qui contrôlent tout grâce aux désirs pacifistes.

Atelier Panique, p.45.

Dans cette veine caractéristique de l’Appel, on note également la présence d’une contestation du port du masque5, du développement d’une rhétorique prônant un retour à la terre, à une sorte de nature fantasmée. Rhétorique analysée lors de notre critique de l’opuscule d’Olivier Cheval Lettres sur la peste [La découverte – Lundi.ma, 2022].

Ils se sont beaucoup trop multipliés. On s’est beaucoup trop multipliés. On est allé trop loin dans la reproduction. Il y en a qui auraient mieux fait de se faire vasectomiser. Moi le premier, je pourrai montrer l’exemple.

Atelier Panique, p.58.

Quoi de plus normal que de trouver de telles références lorsque l’on met en scène un personnage issu de la Mouvance Autonome ? Plus particulièrement quand on sait l’écho que portent ces idées au sein de l’Ultragauche, en France du moins. La finesse d’Antoine Jobard tient au fait que son roman ne nous livre aucun avis définitif sur ces questions. À l’instar des logorrhées artistiques du peintre, ces discours ne seraient-ils qu’un catéchisme ? « Il lutte et se persuade d’un léger mensonge : je préfère la lutte. » [p.104] Écrit-il au sujet de son personnage… ou alors ce dernier, en imitant le peintre dans son isolement, s’est-il définitivement coupé du monde, et s’est ainsi éloigné de son but premier ; la lutte et l’action politique ?

Malgré certaines maladresses6 caractéristiques d’un premier roman, Atelier panique se saisit des préoccupations politiques d’une génération. Ne manquant à ce sujet ni d’humour ni de dérision. On soulignera à cet effet la manière dont Antoine Jobard parvient à (entre)mêler sans fioritures, littérature et idées.

  1. Une joggeuse croisée dans les premières pages du roman, tandis qu’il se réveille dans un jardin public, cristallise ce rapport double : « Elle avait des airs de startupeuses de merde avec ses vêtements techniques colorés. Ou pire, un agent de DGSI ? » [p.20] ↩︎
  2. Nous reproduisons à titre d’exemple celui du premier chapitre : « Comment notre héros découvre un étrange portrait, et les aventures qui entourent cet évènement digne d’intérêt. » [p.9] ↩︎
  3. Dans sa version complétée de 1837, comparée à celle de 1831 qui consistait en un simple conte fantastique. Voir René Guise, «Introduction» à Honoré de Balzac, Études philosophiques, Le Chef-d’œuvre inconnu, La Comédie humaine, t. X, éd. P.-G. Castex, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothèque de la Pléiade», 1979, p. 399. ↩︎
  4. Au sein de la mouvance autonome, on désigne par le terme « appelistes » celles et ceux qui s’inscrivent dans la lignée du groupe de Tarnac. Le terme fait référence à « l’Appel », un texte collectif anonyme prônant l’insurrection, paru en 2003. ↩︎
  5. « La ville s’étend. Elle avance et se déborde, se bascule d’une rue à l’autre. De plus en plus de gens gardent leurs masques pour ne plus avoir à partager leurs haleines. Paraît que ça ne sert pas à grand-chose à l’extérieur, même face aux caméras à reconnaissance faciale. Au moins, l’odeur doit être moins forte. » [p.15] ↩︎
  6. Certaines longueurs, mais également l’usage répété de mots d’argot qui nous a semblé accessoire ne faisant pas partie intégrante de la narration. ↩︎

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