Ça ne tient plus. — Vive et lucide exploration politique et poétique de nos existences. Menée par Stéphane Nowak Papantoniou, on y découvre la figure énigmatique de ce qu’il nomme l’« homme incontenant ». Avatar du poète ou une piste pour les luttes qui nous attendent ?
Stéphane Nowak Papantoniou, Ça ne tient plus, Série Discrète, 2023, 72p, 12€
Ça ne tient plus. — Le recueil est une vive et lucide exploration de nos existences. Elle s’opère par le biais de cet « homme incontenant », figure centrale du recueil. Qui est-il ? Qu’est-il ? Que peut bien vouloir signifier cet adjectif «incontenant » ? Ce sujet qui évolue dans ce monde où Ça ne tient plus. Qu’est-ce qui ne tient plus, d’ailleurs ? Nos modes d’existence ? Profondément imprégnés par le mode de production capitaliste ? Ou est-ce l’État et son gouvernement qui ne parviennent plus à tenir l’ordre ? Ou serait-ce nos relations sociales qui ne tiendraient plus, altérées par les interactions monétisées ? Et il fait quoi, l’« homme incontenant », dans tout ça ?
Pour celles et ceux qui se poseraient la question, oui, « incontenant » est un néologisme ou plutôt un mot valise. Formé à partir de contenant – ce qui contient la chose – précédé par le préfixe de négation « in ». Ainsi l’adjectif renverrait à quelque chose qui ne pourrait « contenir ». Stéphane Nowak Papatonioui nous en propose une définition : « incontenir : verbe intransitif qui fait transiter : sculpter, embrasser, retirer de la matière, garder du vide en pleine forme» [p.15]. Voilà qui ne semble faire qu’épaissir le mystère. Sortir du recueil même, ou plutôt lire entre ses vers pourrait peut-être mieux nous renseigner.
– – – – La maison d’édition
Création : Bordeaux, 2016.
Fondateurs : Vincent Lafaille & Xavier Evstigneeff
Forme juridique : Association.
Statut : Éditeur Indépendant.
Diffusion, Distribution : Auto.
Site https://seriediscrete.com/
Du contenu à l’« incontenant »
Commençons par nous pencher sur l’une des expressions dont notre organisation sociale a le secret : «créateur de contenu». Quel que soit le mode, il y a des gens qui, apparemment, créent du contenu. C’est ce que du moins nous révèle la taxinomie du marché du travail. À quoi peut bien correspondre une telle logique ? Quoi qu’il en soit, on crée du contenu. Poussés par les algorithmes, on crée du contenu pour demeurer visibles.
L’« homme incontenant » a renoncé au contenu [p.13]. Avatar du poète, peut-être, « il recueille les cris »[p.16]. Il veut, se veut être le lien dans ce monde où Ça ne tient plus. Désir de liant, de liaison porté par l’écriture même de Nowak Papantoniou. En effet, le recueil est traversé d’allitérations, « continental / contemporain » et « périphrase / périphérique ». Nous pourrions également citer « capot / capoté » [p.9], « énorme normé » [p.12], « compte tenu / compte tenant » [p.23], « meules / meubles » [p.33]…etc. Des effets de liaison qui se trouvent prolongés par les répétitions, les accumulations, mais également des paronomases du plus bel effet1.
L’« homme incontenant » contre le contenu constamment produit. L’« homme incontenant » comme passeur. Se nichant dans les moindres interstices de l’organisation sociale qui ne nous ne laisse aucun répit. Son désir de capter sans cesse notre attention, entre divertissement et travail. En somme, « se sentir incontenant : [c’est] accepter de faire corps avec la brèche »[p.56]. Il y a dans Ça ne tient plus, cette attention à la langue, aux mots, aux enjeux politiques et éthiques que recouvrent ces deniers. Attention que nous retrouvons également à l’œubre dans l’un des précédents opus de Nowak Papantoniou, Nos secrets poétiques.
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Les effondrements des immeubles de la rue d’Aubagne, advenus en 2018 à Marseille, constituent un point de départ pour notre homme incontenant. Bien conscient que « L’effondrement a déjà eu lieu » [p.56 & p.64]. Effondrement de l’organisation sociale qui ne tient que par sa police, la violence soi-disant légitime qu’elle exerce. Cependant Nowak Papantoniou ne verse aucunement dans la « collapsologie : science du passé. Et un passé de la science. » [p.56] Ce mythe de l’effondrement, de la catastrophe, ne peut constituer une solution viable dans l’ère du capitalocène. Époque qui devrait susciter l’action politique. Si ce n’est que cette possibilité est entravée par le contrôle exercé sur les individus à travers la langue et le langage ; « Vous croyez parler de alors que vous êtes parlés par ». [p.58] Nous pensons exprimer nos idées, mais en réalité, nous sommes influencés et façonnés par les mots dont nous usons.
« état de droit »
« écologie réaliste »
« principe de subsidiarité »
« confiance des investisseurs »
« gauche réformiste »
« principes de la République »
Chaque mot en tue un autre. L’adjectif tue le nom et vice versa. Le complément du nom ne complète pas le nom : il le flingue. Mais entendu par l’oreille, imprimé par le cerveau, répété par la bouche : il se tient avec la force de l’évidence, l’œil n’en tremble pas, il se vide de tout lucidité de pensée.
Stéphane Nowak Papantoniou, Ça ne tient plus, pp.58-59
Dans cette optique, l’approche de Nowak Papatonioui gagne en profondeur. Qu’il s’agisse de créer un lien entre les mots à travers l’écriture, ce désir de contrer la logique de la «production de contenu» devient plus manifeste. L’objectif est de restaurer, non pas seulement la langue, mais également l’expression au sein de la langue ; l’émanciper, lui redonner sa liberté. Quoi de mieux dans cette optique que la poésie et la littérature d’idée ? En vue de déstabiliser l’ordre établi.
1Notamment « bouche gorge » qui reprend la structure de rouge-gorge pour évoquer les violences policières.
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